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pATRIES sOEURS - CHAP 1

Auteur : Rolu

Nous étions le peuple le plus travailleur et nous prenions notre revanche sur l’histoire. Il ne pouvait en être autrement, nous serions le prochain empire de ce monde. La Victoire nous embrasserait dans son giron palpitant. Nous n’étions pas surpris par notre fulgurant essor. Pourquoi s’étonner de l’évidence ? L’erreur de nos ennemies avait été de laisser le progrès les embrumer. Ils s’étaient éloignés des sciences, du labeur et de la discipline. Ils passaient leur temps à se délasser. L’abêtissement des nations rivales ne faisait qu’accélérer l’avènement de notre gloire prochaine. La profonde et absolue dévotion de nos citoyens ne répondait qu’aux désirs supérieurs de la Nation et du bien commun.

…....

 

Comment expliquer l’enthousiasme que l’on ressentait en observant les parades militaires ? L’effusion de banderoles, l’explosion de confettis et d’uniformes. La patrie est grandiose par son corps armé. Le moindre souffle, jusqu’à chacune des enjambées des militaires étaient mesurés. Le minuscule bouton et l’infime orifice de ceinturon se lustraient et se plaçaient à l’exact endroit où ils étaient supposés se trouver. Une à une, les pièces s’imbriquaient en une impériale ingénierie. Les bannières valsaient sans cesse dans cette étourdissante salve de spectaculaires et interminables défilés. Les chars, les chevaux et les jeunes chérubins du pays en fin de file, et les fleurs et le foisonnement de flammes, et les offrandes du peuple balancées au cortège et les chœurs vibrant à l’unisson et les chorégraphies des corps en mu, et les décorations par milliers de milliers de milliers de personnes s’étant déplacés pour la commémoration de la séparation de notre terre à sa sœur. Cette démonstration de force était à l’image de notre terre natale. A la fois généreuse en ressources, en hommes et capable de maîtriser cet infini Tout. Toujours avec une discipline et un maintien que nulle part ailleurs il n’était possible de trouver. L’unité n’existait pas ailleurs que chez nous. Comme beaucoup, nous ne faisions qu’observer ces spectacles magnifiques. Participer aux parades était un honneur octroyé aux plus méritants.

 

En pleurs pendant 7 jours et 8 nuits avant de, pour la première fois, danser pour le pays. Rien ne pouvait égaler cette émotion. Rien ne pouvait pénétrez aussi profondément dans le cœur. Rien ne pouvait tordre les viscères aussi violemment. Les mots d’ordre étaient donnés dès notre naissance : travail, discipline, maintien, unité, patrie, rigueur, sciences, travail, discipline, maintien, unité,… Piano et violoncelle mais aussi gymnastique et danse, couture, chant et course. C’était par là qu’on m’avait offert de ravir les plus grandes découvertes de l’avenir. Il ne serait question que d’acharnement et d’études pour le seul objectif d’écraser les traîtres par tous les moyens qu’offraient les savoirs.

 

Il y eu cet événement dérangeant. Ça n’avait jamais été envisagé avant. Certains avaient exprimé des nouveautés. A l’époque, elles ne m’avaient pas tout de suite interpellée. Mais en y repensant, c’était par ces invisibles exotismes que quelque chose dans notre pays avait glissé. Ce fut une rencontre organisée avec ceux de l’autre côté de la frontière. Il fallait leur flanquer toute notre puissance à la face. En les invitant chez nous, les félons verraient bien l’étendue de notre force. La victoire par la mise sous le fait accompli. Nous les ferions s’agenouiller devant l’évidence de notre pouvoir. Ils n’auraient alors d’autre choix que de capituler en revenant aux vraies valeurs. Officiellement, il s’agissait d’une tentative diplomatique de réchauffement des liens pour une possible réunification. Le pays avait depuis quelques temps peu exprimé de menaces qui se réglaient par les canons. Le moment était plutôt à la revanche raisonnée, par l’abdication volontaire des traîtres à notre cause. Par le dialogue aussi mais surtout par le spectacle de notre bien-être. Ils se soumettraient à notre modèle. Tout ne se passa pas comme prévu.

 

Des hommes et des femmes composaient ce groupe de toutes les générations. Une fillette de dix ans sortait du lot. Elle était grande et plutôt forte. Ses cheveux noirs étaient beaux mais trop longs pour se distinguer par une quelconque élégance. L’enfant ressemblerait à n’importe quelle des filles de ma ville si on lui échangeait ses vêtements. Pourtant même après cela, quelque chose en elle la rendait différente. Son comportement avec les autres de son groupe. Il manquait quelque chose. Il manquait ce maintien, cette grâce qui guindait sans arrêts nos postures et notre rapport au monde. Quelque chose d’autre dessinait son visage et ses mœurs. Elle semblait curieuse et effrontément enjouée à chaque instant. C’était comme un parfait imposteur sous un masque ébréché. Son enveloppe physique était comme une farce que nous faisaient les voisins ennemis.

 

Nous n’avions pas le droit de parler plus d’un certain temps avec les touristes ennemies. Il n’en fallut pas plus :

   -Qu’est-ce que tu aimes faire dans la vie ?

   -J’aime le chef de mon pays. J’aime mon pays. J’aime les servir.

Elle semblait ne pas comprendre mon langage. Mais c’était bien plus profond que cela. Nos langues étaient sœurs mais nos pensées n’avaient rien de familier :

  -Je veux dire… Est-ce que tu as des passions pour toi ? Est-ce que tu joues d’un instrument ?

  -J’ai joué du gayageum quelques fois mais mes vrais atouts sont le piano et le violoncelle. On peut aussi compter la gymnastique.

  -C’est génial.

  - J’espère continuer à travailler dur pour progresser suffisamment et un jour peut-être participer aux parades. Honorer le chef de la patrie et le remercier de sa si grande bonté sont les vocations de tout bon camarade. En toute humilité, après avoir travaillé très dur des années mes exercices de gymnastique, et avec le soutien de tout le monde à l’école, j’ai pu atteindre un très haut niveau d’excellence. Et cela, le parti l’a reconnu et m’a offert la chance miraculeuse de participer au défilé…

  -Ohh… tu as dû faire des saltos et des acrobaties dingues au défilé…

  -Bien sûr que non ! Pas pour une première fois…

Se rendait-elle compte des absurdités quelle pouvait dire ? Elle n’avait donc aucun respect pour l’organisation des défilés :

  -Qu.. Qu’est-ce que tu peux faire alors ? Tu n’es pas encore capable de faire des acrobaties ?

  -Bien sûr que je le peux ! Mais je respecte en premier lieu ceux qui ont été honorés avant moi. Cela peut prendre des années avant de participer aux démonstrations sportives. Pour l'heure, je suis chargée du port des banderoles.

L’étrangère semblait vexée par ma véhémence. Mais que savait-elle du sacrifice et du respect pour toute la symbolique des jeux sportifs ? Elle renchérit :

  -Si seulement ils laissaient les trucs simples à faire aux débutants. Tu aurais pu porter des banderoles au début. Et en devenant douée comme tu l’es aujourd’hui, t’aurais participé aux spectacles de gymnastique. Quel gâchis. Tu dois être tellement frustrée, je le serai à ta place.

 

QUE SAVAIT-ELLE DE CE QUE NOUS RESSENSS .. DE CE QUE JE RESSENTAIS ? QU’EN SAVAIT-ELLE ? Je bondis de mon siège, prête à l’étrangler mais c’aurait été un terrible et impardonnable déshonneur. Elle comprit d’elle-même que je m’apprêtais à rugir :

   -Je vois… je te souhaite bonne chance pour les prochains entraînements et défilés.

 

La jeune bécasse impertinente s’éloigna comme si je ne comprenais rien. Alors qu’il s’agissait bien de SON ignorance ! Comment pouvait-on à ce point dénigrer une organisation si ancienne ? Toutes les institutions mises en place par le gouvernement méritaient nos plus humbles hommages car c’était à travers elles que nous trouvions le salut. Elle avait simplement tout flanqué par terre en insinuant que je pouvais être frustrée. Que je pouvais me languir depuis tant d’années. Que je pouvais tellement chérir la gymnastique et les défilés que j’avais pleuré 7 jours et 8 nuits en apprenant que j’étais enfin sur la liste d’attente pour les prochaines démonstrations sportives. Et je me languirai encore au moins 1 ou 2 ans avant de pouvoir réellement participer aux merveilleux jeux. A quoi est-ce que j’étais en train de penser ?

   -Je rêve parfois et parfois je ne pense à rien. Quand je suis seule et que je souffle un peu, des images, des pensées et des rêves apparaissent dans mon esprit. Je me souviens une fois, je me suis réveillée avec plein d’idées pour ranger les couverts propres dans la cuisine. Pareil pour le niveau 40 de « jattle speed ». J’ai passé des semaines à me farcir les mêmes bêtises, j’arrivais à rien. Un jour, j’étais en train de lasser des brins d’herbe et la solution du jeu est apparue !

 

Je pouvais de moins en moins supporter sa logique. Elle tentait de me faire croire à ses chimères. Elle se contentait donc de se prélasser, de dormir, de s’amuser et hop ! Les problèmes de sa vie se résolvaient d’eux-mêmes !

   -La discipline dans un travail constant et acharné permet de résoudre les problèmes…

Que... quoi ? C’était ma réplique, ça, normalement. Elle ajouta :

   -Et la qualité du repos de l’esprit et du corps met de l’ordre dans les idées.

 

Le repos… Elle ne cherchait pas constamment la solution, elle n’était pas constamment gainée, elle ne cherchait pas à chaque seconde la satisfaction du parti, du chef d’état ou de qui que ce soit d’autres. Elle se reposait. Ce n’était pas qu’une question de sommeil. Moi aussi je dormais et pendant les entraînements nous faisions de courtes pauses. Ces moments étaient réparateurs pour mon corps mais pas pour l’esprit. Et puis parfois elle cherchait aussi, elle cherchait par simple curiosité, pour comprendre un phénomène. Elle ne remplissait pas à chaque acte, à chaque seconde et à chaque travail, une mission supérieure. Toutes ses actions n’étaient pas systématiquement motivées par le devoir d’honorer ses pairs, ses parrains et encore moins son pays. Comment parvenait-elle à faire des choses si grandes avec des ambitions si misérables ? J’avais pitié d’une telle indigence dans la réflexion. La pauvre enfant me dit :

   -Je crois que ma mère me parle parfois de ça, elle dit que ça s’appelle la recherche euhhh comment ça s’appelle encore? Elle dit la "recherche fondamentale", je crois. Chercher pour chercher. C’est par ce biais que des remèdes ou des inventions ont été trouvés, elle m’a dit. On ne cherche pas à soigner une maladie en particulier. On cherche simplement à atteindre une meilleure compréhension du monde et, par hasard, parfois on trouve une solution à un problème qu’on ne se serait pas posé. Parfois non.

 

Elle parlait beaucoup avec ses compagnons de voyage, moins avec moi parce que mes égards étaient de plus en plus glacials envers elle. Il y eu cette discussion mêlant ses contes favoris et les mathématiques. Dans une autre, il était question de la ressemblance entre certains mots qui n'avaient rien à voir les uns avec les autres. Elle liait, reliait, réalisait, renforçait, re-racontait tant de sujets de discussion. Elle n’avait pas de filtre. Elle n’avait pour limite que celles de son intellect qu'elle fracassait chaque jour par des jeux, par sa curiosité ou ses recherches. Je haïssais ses débordements. Son enthousiasme immodéré et son manque de vergogne m’écœuraient.  Cependant c’était comme si tout à coup une porte s’était ouverte sur une autre dimension. Mes sentiments envers la patrie sœur n’avaient pas changé. Je vomissais toujours sur le tournant qu’avait pris leur histoire, j’enrageais dès que je repensais à leur trahison mais maintenant qu'un des leurs était là et qu’elle exposait en face de moi ses élucubrations, j’avais mille et une nouvelles questions, j’avais mille et un dilemmes, j’avais mille millions de milliards de possibilités de réflexion. Je n’avais jamais passé autant de temps à réfléchir. Cette ébrèchement dans la frontière avait laissé bien plus qu’un simple petit groupe de traîtres pénétrés nos terres.

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