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lA VIELLE dAME ET LES CARNETS - CHAP 1

Auteur : Rolu

La dame marmonnait des choses incompréhensibles. Elle parlait littéralement dans ses moustaches. De longs poils noirs bullaient sur les lèvres fripées. C’était la photo en négatif de Blanche-Neige : des yeux rouge sang, des moustaches qui intimideraient la plus sombre des corneilles et une chevelure plus blanche que la neige. Les feuilles de parchemin sur son visage jaunissaient avec le temps. Sa raison s’effritait et son corps s’avachissait, fléchissait. Elle répétait la même phrase inlassablement et ses lèvres poilues n’offraient jamais un sourire.

 

Entre les nouveaux best-sellers et les cartes à jouer, la vieille se tenait là, dans le kiosk. Elle n’était pas la seule à observer les carnets et bloc-notes. Une chic citadine scrutait les étales tout comme son indigente voisine de rayon. Tout en elle tranchait avec sa consœur. Pourtant, elle lisait le même affichage publicitaire, pourtant elle partageait le même intérêt pour les plus belles armes en ce monde : du papier et un crayon. Mais la jeune demoiselle portait un manteau Burberry London et dévoila un badge d’entreprise aux armoiries « L’Oréal » en remettant en place un pendant d’oreille en perles d’Akoya. La vieille s’était peigné les cheveux avec une brosse édentée, elle avait les pieds gonflés dans ses chaussures de brocante et se raccrochait à l’idée qu’elle avait besoin d’un bloc note :

« Le bloc note…. Ils sont sympas, hein les blocs-notes… J’ai bien besoin d’un carnet. »

C’est ce qui se pianotait dans ses moustaches. La citadine n’y prêtait pas attention, elle préférait penser qu’il s’agissait d’élucubrations personnelles qui, le temps d’un instant, avaient fuité de ce cerveau écorné:

« Tu regardes les…. Tu les regardes aussi… Tu vas en prendre un ? … Les blocs-notes… »

 

De nouveau la jeune femme ne se sentit pas concernée par ces divagations.

« Ce sont des blocs-notes… Tu les regardes aussi… Tu devrais en prendre un.

  -C’est à moi que vous parlez ?

  -Tu vas prendre un carnet ? Demanda de manière plus affirmée, la vieille dame qui semblait véritablement curieuse des futurs achats de son interlocutrice.

  -Euh… Je pensais que vous étiez au téléphone et que vous parliez à quelqu’un d’autre. Je n’avais pas compris que vous m’adressiez la parole. »

 

Et en effet, l’étrange vieille corne ne regardait pas la citadine à qui elle s’adressait. Elle ne décollerait pour rien au monde ses yeux du stand à cahiers : « Non, j’ai pas de téléphone.. je cherche du taff… J’ai besoin d’un carnet. » Le « besoin » de la quinca-sexa-septa-difficile à dire-génaire mit un terme définitif aux politesses que la salary woman pouvait lui octroyer :

« Est-ce que tu vas en prendre ? Tu m’en prendrais pas un aussi ? »

Pire que l’indifférence ou le mépris, la citadine resta à sa place en ignorant la demande. Enfin, elle para ses pommettes d’un voile de haine pour ces gens qui ont des « besoins ». On sentait l‘urgence dans les attitudes de la vieille. L’urgence et l’obsession à l’égard de ces morceaux de papier. Plus vite elle obtiendrait ce MacGuffin, plus tôt elle sortirait de son dénuement. Mais pour cette fois, elle allait devoir donner rendez-vous à ses besoins, dans les rêves de ce soir. 

 

…………………..

Dans un métro, une grosse dame expulsa une gerbe de ressentiment à l’encontre d’un adolescent faisant la mendicité. Les lèvres grasses de la dame se resserrèrent comme son cœur, l’air fut englouti dans cet interstice buccal comme sa compassion qui disparut en un instant dans ce « tchip » tonitruant.

 

………………..

 

Quelqu’un était agenouillé à terre. Amorphe. Anéanti. Face contre asphalte. Figé dans une posture affalée, la personne joignait ses mains sur un vieux gobelet en papier. C’est dans cette silencieuse supplication qu’elle invitait les passants à se délester de quelques uns de leurs sous. L’inconnu au gobelet avait le cheveu court, le teint sale et la silhouette svelte. C’aurait pu être une fille comme un garçon, personne ne semblait lui prêter attention de toute façon. Un vieillard tranquille, assis sur un banc, se leva comme s’il reprenait calmement son chemin. Il remit en place son chapeau et son ceinturon puis saisit un journal. Lentement il se dirigea vers la jeune personne aveuglée par sa position face contre terre. L’ancien brandit son rouleau dénonciateur et l’abattit sur la nuque et le dos du mendiant. Il hurla : «Mais tu vas aller bosser, oui !!!! » Il le frappa à plusieurs reprises en pleine rue, en plein jour, en pleine impunité. D’un pas serein, il reprit sa route, rasséréné par la mise en exécution d’un procès et d’une sentence dont il était le seul maître. Mais que font les gens ?!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

 

……………………

 

« Où étais-tu ?

   -Que veux-tu dire ?

   -Où est-ce que tu te tenais quand tout ça est arrivé ?

   -J’… J’étais à côté.

 

…………………………

 

Je me présente, je suis Michaël. Je suis journalier dans un kiosk à la gare de cette grande ville traversée par ce fleuve et visitée par tant de gens. Et dans cette foule, j’ai remarqué une habituée particulière. C’est une sans abris qui traîne souvent près des fournitures scolaires. Elle entre et ne vole jamais. Parfois elle convainc une bonne pâte de lui acheter des stylos, parfois un sandwich. Elle repart sinon bredouille. Cette fille un peu hautaine lui a fait beaucoup de peine alors à la fermeture je me suis dit que 3 sous pour payer un carnet à cette vieille dame ça remettrait du baume au cœur à tout le monde. A moi d’abord. Et puis à elle, qui repartit ce soir-là avec un petit quelque chose en plus, et j’aime à penser que c’était un petit quelque chose de moi. N’est-ce donc pas là le sens même de mon existence : vouloir en laisser des traces ?

 

Je me présente, je suis Swati Sinah, je suis musicienne. J’ai une capacité à m’émouvoir pour une palette impressionnante de musicalités et de sons. Mais je n’ai pas apprécié les bruits gutturaux de cette bonne femme lorsque le mendiant est passé dans les couloirs. Les pigeons sont chassés par des coups de pied, les mouches d’un revers de la main et les pauvres par des aspirations bruyantes de salive maintenant. En descendant à ma station je l’ai salué, lui ai souhaité une bonne journée et lui ai donné le repas que ma mère m’avait préparé pour le midi. Les bouches ne devraient produire qu’une musique grandiose et belle. Pas des clics laids et méprisants.

 

Je me présente, je suis Eric. Je suis un ancien professeur de chinois, ma langue maternelle, mais je ne travaille plus depuis mes vingt-sept ans. J’ai horreur des temps pluvieux et il pleuvait ce jour-là. Ou en tout cas il avait plu, je crois. Et malgré les sols poisseux et la froideur du climat, ce punk aux cheveux courts s’était couché parterre pour implorer les gens. Un vieux gars a soulevé avec peine son gros cul oisif et a brandi un journal dégueulasse pour donner une leçon d’honneur au jeune en le frappant sans discontinuer. Il est parti comme un connard avec le sentiment du devoir accompli. J’ai rattrapé sans peine ce vieux con et lui ai demandé quel était son problème. Il rétorqua que c’était à moi d’aller me faire soigner. J’ai préféré ne pas épiloguer et l’ai envoyé chier.

Fin?

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