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cHAP 2 - Les chimères

auteur : Rolu

Le plus grand des grands hurla à ses camarades : COURRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRREZ !

Sa fossette narquoise et ses attitudes confiantes n’étaient plus. Il empoigna les mains du petit grand et enjamba le bac à sable d’un bond. Il avait tout à coup vieilli de 100 ans. Sa sagesse gagnée lui commandait de fuir le plus vite possible avec le plus jeune. Le petit grand était encore plus effrayé par la gravité du visage de son aîné que par ce qu’il avait aperçu. Une robe rouge étincelante. Des sequins écarlates irradiaient d’un maléfice quiconque osait les contempler. Et une chevelure piquante et touffue descendant jusqu’au sol. Le claquement des squelettes des monstres s’amplifia aux oreilles des quatre enfants, bien qu’ils s’éloignaient de la source de leur malheur. Vint s’ajouter aux stridences, un tambour. Des gongs de l’enfer semblaient accompagner la venue des messagers de Lucifer. Un chœur démoniaque scandait des menaces d’un autre monde.

 

Le mouvement de panique des deux élèves mit en alerte le reste de la cours de récréation. D’une simple rumeur, naquit un effroi terrible « Les montres ! Ils arrivent ! ». Les élèves hurlèrent à l’unisson se pressant dans le giron des professeurs. Ceux-là enfermèrent à double-tour les pauvres âmes en peine et appelèrent les secours. Pendant ce temps, Aléthéia haussait le sourcil :
    -Mais qu’est-ce qui leur prend à tous ?

Un gouffre déchira la tête sans visage d’un des monstres. Un grand souffle de vent s’engouffra dans ce gouffre naissant et un goitre vermeil grossit à vue d’œil sur la gorge de la bête. Celle-ci parla par son gouffre à notre héroïne :

« Ils fuient notre malédiction, pardi.

Aléthéia couvrit ses épaules car elle avait senti se lever la brise à cause du monstre.

    -Il commence à faire froid, murmura-t-elle pour elle-même.

 

Un autre gouffre noir se perça dans le visage du deuxième monstre. Une flopée d’insectes qui passaient par là et quelques feuillages furent engloutis par le trou noir. La chimère se gargarisa la gorge pourpre puis questionna Aléthéia :

    -Qu’attends-tu pour nous fuir, toi aussi ?

    -Trop tard, sa mort est certaine, ricana la première créature.

 

Aléthéia s’assit dans le bac à sable, faisant dos aux deux perturbateurs des ténèbres. L’enfant posa ses mains sur un monticule de sable. Elle avait de toutes petites mains rondelettes et un regard concentré. L’héroïne brisa les liens du sable et modela quelque chose. Les deux monstres se sentirent seuls :

    -Hé ! Ho !

   -Elle est sourde ou quoi ?

   -Elle doit être demeurée. Même les sourds peuvent ressentir notre grandeur démoniaque.

 

Mais alors que les deux grandes gigues rouges débattaient sur les raisons de son indifférence, Aléthéia glissa deux doigts dans sa poche. Elle en tira quelque chose.

 

L’une des grandes créatures décida qu’il était temps de mettre fin à ce désintéressement éhonté et de faire du mal à la fillette. Elle allait pour tirer sur le dos d’Aléthéia, lorsque celle-ci fit volte-face :

   -BOUARrrrr !!!

 

Des yeux déchiquetés avec des gouttes purulentes de sang suintaient tout à coup du visage de notre jeune héroïne. Son horrible apparence croisa le regard inexistant du monstre qui ravala son goitre dans un sursaut. Il poussa un hurlement de terreur :

   -AHHHhhhh !!!!!

 

Son compagnon monstrueux lui flanqua une tape sur la tête :

   -Arrête de faire le crétin. Elle vient de mettre ce masque.

 

Aléthéia se mit à rire tout en retirant le loup immonde de son doux visage.

   -Je vous ai bien eus !

   -Tu parles ! Mentit celui qui s’était étouffé avec sa propre peur.

   -A quoi tu joues jeune écervelée ? Tu veux mourir aujourd’hui ?

   -On joue à se faire peur, s’exclama-t-elle dans un rire discret.

   -Qu’espères-tu en provoquant la colère des monstres ? Renchérit l’acolyte peureux.

   -C’est juste un jeu. Je ne suis pas un monstre. Allez, venez, on joue à se faire peur.

 

Les deux envoyés des enfers avaient de plus en plus de mal à contenir leur colère. Qu’attendaient-ils pour atomiser cette insolente ? Aléthéia semblait indifférente à leur étonnement et se mit à trottiner dans le bac à sable en faisant des grimaces avec et sans son masque. C’est là que le plus peureux des monstres s’écria :

   -Ahhh mais c’est la menteuse d’hier ! On était dans leur salle de classe ! Elle disait n’avoir jamais vu, ni entendu de monstres de sa vie ! Et regarde-la aujourd’hui, elle fait l’idiote devant nous ! Quelle impertinence ! Je veux l’écrabouiller !

   -Elle le mérite, je t’en fais le serment. On dirait qu’elle essaie de se faire remarquer. L’excuse de son jeune âge ne la sauvera pas de sa fin inéluctable.

 

Aléthéia avait fini de galoper dans le sable. Elle baissait maintenant la tête et semblait affectée. Était-elle enfin alarmée par les menaces de mort du duo de monstres ? Le masque glissa de sa main comme un renoncement, elle plissa le front en signe de profond chagrin et dit :

   -J’en suis peut-être un moi aussi… C’est peut-être ça… Je ne veux pas, je ne veux pas…

   -Tais tes dernières paroles ! Tu n’as pas le droit à ce privilège ! Hurla le monstre peureux.

 

Il brandit ses bras trop longs pour son corps chétif et abattait une griffe tranchante sur la petite fille.

   -Je suis peut-être un monstre moi aussi, conclut Aléthéia.

 

A ces mots, l’acolyte tenta de retenir le bras vengeur de son complice peureux. Mais l’énervement de celui-ci emporta la tentative et il parvint tout de même à asséner un coup sur l’épaule d’Aléthéia qui s’effondra. La petite fille se releva du sol en emprisonnant son épaule douloureuse dans une étreinte solitaire :

   -Si je ne vois pas, ni n’entends, ni ne sens les monstres, c’est peut-être que j’en suis un.

La chimère la plus craintive était prête à repartir à la charge mais son compagnon lui somma de s'arrêter :

   -Elle ne nous voit pas…

   -Tu… Tu ne vas quand même pas croire à ses sornettes ?! Elle fait l’intéressante depuis tout à l’heure !

   -La ferme ! Ne vois-tu pas qu’elle se parle… elle se parle à elle-même depuis le début. Elle n’a pas conscience de notre présence. Elle ne s’interroge même pas sur pourquoi elle est tombée à l’instant.

 

Aléthéia méditait sur le sol, son visage était grave. Plus que 100 ans, elle avait pris un millénaire de sagesse :

   -Un monstre c’est quelque chose qui fait peur. Les monstres débiles qui jouent à faire peur et à apporter la mort ne me font pas peur, je crois… Je ne les vois pas.

 

Les sirènes et les cris des parents alertèrent les deux bandits de l’enfer. Le plus peureux voulait frapper l’enfant au sol mais son acolyte le convainquit que l’absence de cris et de pleurs enlevait toute saveur à leurs méfaits :

   -Je pars devant. Fais ce que tu veux d’elle

   -Tsss… attends-moi, la cavalerie est déjà là.

 

Les deux ombres pourpres s’évaporèrent dans un monde de l’au-delà et Aléthéia retrouva ses parents. La vérité n’était peut-être pas là :

   -Je ne suis peut-être pas la seule, chuchota Aléthéia. Peut-être même qu’il y a des menteurs, des menteurs qui font semblant de voir les monstres.

 

 

 

Fin?

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